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PAUL

La nuit nous surprenoit bien souvent dans ces fêtes champêtres ; mais la pureté de l’air et la douceur du climat nous permettoient de dormir sous un ajoupa, au milieu des bois, sans craindre d’ailleurs les voleurs ni de près ni de loin. Chacun le lendemain retournoit dans sa case, et la retrouvoit dans l’état où il l’avoit laissée. Il y avoit alors tant de bonne foi et de simplicité dans cette isle sans commerce, que les portes de beaucoup de maisons ne fermoient point à la clef, et qu’une serrure étoit un objet de curiosité pour plusieurs Créoles.

Mais il y avoit dans l’année des jours qui étoient pour Paul et Virginie des jours de plus grandes réjouissances ; c’étoient les fêtes de leurs meres. Virginie ne manquoit pas la veille de pêtrir et de cuire des gâteaux de farine de froment, qu’elle envoyoit à de pauvres familles de blancs, nées dans l’isle, qui n’avoient jamais mangé de pain d’Europe, et qui sans aucun secours de noirs, réduites à vivre de manioc au milieu des bois, n’avoient pour supporter la pauvreté ni la stupidité qui accompagne l’esclavage, ni le courage qui vient de l’éducation. Ces gâteaux étoient les seuls