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ET VIRGINIE

Ces drames étoient rendus avec tant de vérité qu’on se croyoit transporté dans les champs de la Syrie ou de la Palestine. Nous ne manquions point de décorations, d’illuminations et d’orchestre convenables à ce spectacle. Le lieu de la scene étoit pour l’ordinaire au carrefour d’une forêt dont les percés formoient autour de nous plusieurs arcades de feuillage : nous étions à leur centre abrités de la chaleur pendant toute la journée ; mais quand le soleil étoit descendu à l’horizon, ses rayons, brisés par les troncs des arbres, divergeoient dans les ombres de la forêt en longues gerbes lumineuses qui produisoient le plus majestueux effet. Quelquefois son disque tout entier paraissoit à l’extrémité d’une avenue, et la rendoit toute étincelante de lumiere. Le feuillage des arbres, éclairés en dessous de ses rayons safranés, brilloit des feux de la topaze et de l’émeraude ; leurs troncs mousseux et bruns paraissoient changés en colonnes de bronze antique ; et les oiseaux déja retirés en silence sous la sombre feuillée pour y passer la nuit, surpris de revoir une seconde aurore, saluoient tous à la fois l’astre du jour par mille et mille chansons.