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en ma disposition. Les gens de lettres se sont assez plaints de leurs brigandages ; mais ils ne savent pas que ceux qui se présentent aujourd’hui pour s’y opposer sont souvent plus dangereux que les contrefacteurs eux-mêmes. Ils en jugeront par deux traits encore tout récents à ma mémoire.

Il y a environ deux ans et demi qu’un homme, moitié libraire, moitié homme de loi, vint m’offrir ses services pour Lyon. Il alloit, me dit-il, dans cette ville qui remplit de ses contrefaçons les départements du midi, et même la capitale. Il étoit revêtu des pouvoirs de plusieurs imprimeurs et libraires pour saisir les contrefaçons de leurs ouvrages, et s’étoit obligé de faire tous les frais de voyage et de saisie, à la charge de leur tenir compte du tiers des amendes et des confiscations. Il m’offrit de se charger de mes intérêts aux mêmes conditions. Nous en signâmes l’acte mutuellement. Il partit. À peine étoit-il arrivé à Lyon que je reçus de cette ville quantité de réclamations des libraires qui se plaignoient de ses procédures, attestoient leur innocence, leur qualité de pere de famille, etc. De son côté mon fondé de procuration me mandoit qu’il faisoit de fort bonnes affaires ; qu’il me supplioit de ne m’en point mêler, et de le laisser le maître de disposer de tout, suivant nos conventions. Je me gardai donc bien de l’arrêter dans sa marche, et je me félicitai de recevoir incessamment de lui des fonds considérables, que je