Page:Bernardin de Saint-Pierre - Paul et Virginie, Didot, 1806.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
PAUL

d’une isle déserte. À ces récits les ames sensibles de leurs enfants s’enflammoient ; ils prioient le ciel de leur faire la grace d’exercer quelque jour l’hospitalité envers de semblables malheureux. Cependant les deux familles se séparoient pour aller prendre du repos, dans l’impatience de se revoir le lendemain. Quelquefois elles s’endormoient au bruit de la pluie qui tomboit par torrents sur la couverture de leurs cases, ou à celui des vents qui leur apportoient le murmure lointain des flots qui se brisoient sur le rivage. Elles bénissoient Dieu de leur sécurité personnelle, dont le sentiment redoubloit par celui du danger éloigné.

De temps en temps madame de la Tour lisoit publiquement quelque histoire touchante de l’ancien ou du nouveau Testament. Ils raisonnoient peu sur ces livres sacrés ; car leur théologie étoit toute en sentiment, comme celle de la nature, et leur morale toute en action, comme celle de l’évangile. Ils n’avoient point de jours destinés aux plaisirs et d’autres à la tristesse. Chaque jour étoit pour eux un jour de fête, et tout ce qui les environnoit un temple divin, où ils admiroient sans cesse une Intelligence infinie, toute-puissante, et