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de cent pieds de hauteur perpendiculaire. Au reste je lui recommandai fort d’être toujours exact à dire la vérité, et d’imiter dans ses récits ce héros protégé de Minerve, qui avoit beaucoup moins voyagé que lui, mais qui avoit vu des choses bien plus extraordinaires.

En vérité, s’il m’est permis de le dire, je crois que mon humble pastorale pourroit fort bien m’acquérir un jour autant de célébrité que les poëmes sublimes de l’Iliade et de l’Odyssée en ont valu à Homere. L’éloignement des lieux comme celui des temps en met les personnages à la même distance, et les couvre du même respect. J’ai déjà un Nestor dans le vieux Domingue, et un Ulysse dans mon jeune voyageur. Les commentaires commencent à naître ; il est possible qu’à la faveur de mes amis, et sur-tout de mes ennemis, qui se piquent d’une grande sensibilité à mon égard, elle me prépare autant d’éloges après ma mort que mes autres écrits, où je n’ai cherché que la vérité, m’ont attiré de persécutions pendant ma vie.

Cependant, je l’avoue, un autre motif plus touchant que celui de la gloire m’a engagé à faire une belle édition de Paul et Virginie : c’est le désir paternel de laisser à mes enfants, qui portent les mêmes noms, une édition exécutée par les plus habiles artistes en tout genre, afin qu’elle ne pût être imitée par les contrefacteurs. Ce sont eux qui ont dépouillé mes enfants de la meilleure partie du patrimoine qui étoit