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ET VIRGINIE

loin leurs doux parfums, quoiqu’on ne les voie pas.

Elles avoient banni de leurs conversations la médisance, qui, sous une apparence de justice, dispose nécessairement le cœur à la haine ou à la fausseté ; car il est impossible de ne pas haïr les hommes si on les croit méchants, et de vivre avec les méchants si on ne leur cache sa haine sous de fausses apparences de bienveillance. Ainsi la médisance nous oblige d’être mal avec les autres ou avec nous-mêmes. Mais, sans juger des hommes en particulier, elles ne s’entretenoient que des moyens de faire du bien à tous en général ; et quoiqu’elles n’en eussent pas le pouvoir, elles en avoient une volonté perpétuelle qui les remplissoit d’une bienveillance toujours prête à s’étendre au dehors. En vivant donc dans la solitude, loin d’être sauvages, elles étoient devenues plus humaines. Si l’histoire scandaleuse de la société ne fournissoit point de matiere à leurs conversations, celle de la nature les remplissoit de ravissement et de joie. Elles admiroient avec transport le pouvoir d’une providence qui par leurs mains avoit répandu au milieu de ces arides rochers l’abondance, les graces, les plaisirs purs, simples, et toujours renaissants.