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PAUL

trois pitons en ont la forme. Ils descendirent donc le morne de la Riviere-noire du côté du nord, et arriverent, après une heure de marche, sur les bords d’une large riviere qui barroit leur chemin. Cette grande partie de l’isle, toute couverte de forêts, est si peu connue même aujourd’hui que plusieurs de ses rivieres et de ses montagnes n’y ont pas encore de nom. La riviere sur le bord de laquelle ils étoient coule en bouillonnant sur un lit de roches. Le bruit de ses eaux effraya Virginie ; elle n’osa y mettre les pieds pour la passer à gué. Paul alors prit Virginie sur son dos, et passa ainsi chargé sur les roches glissantes de la riviere malgré le tumulte de ses eaux. « N’aie pas peur, lui disoit-il ; je me sens bien fort avec toi. Si l’habitant de la Riviere-noire t’avoit refusé la grace de son esclave, je me serois battu avec lui. — Comment ! dit Virginie, avec cet homme si grand et si méchant ? À quoi t’ai-je exposé ! Mon Dieu ! qu’il est difficile de faire le bien ! il n’y a que le mal de facile à faire ». Quand Paul fut sur le rivage il voulut continuer sa route chargé de sa sœur, et il se flattoit de monter ainsi la montagne des Trois-mamelles qu’il voyoit devant lui à une demi-lieue