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PAUL

élégante de Virginie, sa belle tête blonde sous une capote bleue, et qu’il eut entendu le doux son de sa voix, qui trembloit ainsi que tout son corps en lui demandant grace, il ôta sa pipe de sa bouche, et levant son rotin vers le ciel, il jura par un affreux serment qu’il pardonnoit à son esclave, non pas pour l’amour de Dieu, mais pour l’amour d’elle. Virginie aussitôt fit signe à l’esclave de s’avancer vers son maître ; puis elle s’enfuit, et Paul courut après elle.

Ils remonterent ensemble le revers du morne par où ils étoient descendus, et parvenus au sommet ils s’assirent sous un arbre, accablés de lassitude, de faim et de soif. Ils avoient fait à jeun plus de cinq lieues depuis le lever du soleil. Paul dit à Virginie : « Ma sœur, il est plus de midi ; tu as faim et soif : nous ne trouverons point ici à dîner ; redescendons le morne, et allons demander à manger au maître de l’esclave. — Oh non, mon ami, reprit Virginie, il m’a fait trop de peur. Souviens-toi de ce que dit quelquefois maman : Le pain du méchant remplit la bouche de gravier. — Comment ferons-nous donc ? dit Paul ; ces arbres ne produisent que de mauvais fruits ; il n’y a pas seulement ici un