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ET VIRGINIE

dit : « Pauvre misérable ! j’ai envie d’aller demander votre grace à votre maître ; en vous voyant il sera touché de pitié. Voulez-vous me conduire chez lui ? — Ange de Dieu, repartit la négresse, je vous suivrai par-tout où vous voudrez ». Virginie appela son frere, et le pria de l’accompagner. L’esclave maronne les conduisit par des sentiers, au milieu des bois, à travers de hautes montagnes qu’ils grimperent avec bien de la peine, et de larges rivieres qu’ils passerent à gué. Enfin, vers le milieu du jour, ils arriverent au bas d’un morne sur les bords de la Riviere-noire. Ils apperçurent là une maison bien bâtie, des plantations considérables, et un grand nombre d’esclaves occupés à toutes sortes de travaux. Leur maître se promenoit au milieu d’eux, une pipe à la bouche, et un rotin à la main. C’étoit un grand homme sec, olivâtre, aux yeux enfoncés, et aux sourcils noirs et joints. Virginie, toute émue, tenant Paul par le bras, s’approcha de l’habitant, et le pria, pour l’amour de Dieu, de pardonner à son esclave, qui étoit à quelques pas de là derriere eux. D’abord l’habitant ne fit pas grand compte de ces deux enfants pauvrement vêtus ; mais quand il eut remarqué la taille