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PAUL

Madame de la Tour, que tout homme indifférent n’eût pu voir sans intérêt et sans respect, fut reçue avec beaucoup de froideur par M. de la Bourdonnais, prévenu contre elle. Il ne répondit à l’exposé qu’elle lui fit de sa situation et de celle de sa fille que par de durs monosyllabes : « Je verrai ; … nous verrons ; … avec le temps : … il y a bien des malheureux… Pourquoi indisposer une tante respectable ? … C’est vous qui avez tort. »

Madame de la Tour retourna à l’habitation le cœur navré de douleur et plein d’amertume. En arrivant elle s’assit, jeta sur la table la lettre de sa tante, et dit à son amie : « Voilà le fruit de onze ans de patience » ! Mais comme il n’y avoit que madame de la Tour qui sût lire dans la société, elle reprit la lettre et en fit la lecture devant toute la famille rassemblée. À peine était-elle achevée que Marguerite lui dit avec vivacité : « Qu’avons-nous besoin de tes parents ? Dieu nous a-t-il abandonnées ? c’est lui seul qui est notre pere. N’avons-nous pas vécu heureuses jusqu’à ce jour ? Pourquoi donc te chagriner ? Tu n’as point de courage ». Et voyant madame de la Tour pleurer, elle se