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ET VIRGINIE

que sa sœur paraissoit il devenoit tranquille et alloit s’asseoir auprès d’elle. Souvent leur repas se passoit sans qu’ils se dissent un mot. À leur silence, à la naïveté de leurs attitudes, à la beauté de leurs pieds nus, on eût cru voir un grouppe antique de marbre blanc représentant quelques uns des enfants de Niobé ; mais à leurs regards qui cherchoient à se rencontrer, à leurs sourires rendus par de plus doux sourires, on les eût pris pour ces enfants du ciel, pour ces esprits bienheureux dont la nature est de s’aimer, et qui n’ont pas besoin de rendre le sentiment par des pensées, et l’amitié par des paroles.

Cependant madame de la Tour, voyant sa fille se développer avec tant de charmes, sentoit augmenter son inquiétude avec sa tendresse. Elle me disoit quelquefois : « Si je venois à mourir, que deviendroit Virginie sans fortune ? »

Elle avoit en France une tante, fille de qualité, riche, vieille et dévote, qui lui avoit refusé si durement des secours lorsqu’elle se fut mariée à M. de la Tour, qu’elle s’étoit bien promis de n’avoir jamais recours à elle à quelque extrémité qu’elle fût réduite. Mais devenue