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PAUL

De loin je la crus seule ; et m’étant avancé vers elle pour l’aider à marcher, je vis qu’elle tenoit Paul par le bras, enveloppé presque en entier de la même couverture, riant l’un et l’autre d’être ensemble à l’abri sous un parapluie de leur invention. Ces deux têtes charmantes renfermées sous ce jupon bouffant me rappelerent les enfants de Léda enclos dans la même coquille.

Toute leur étude étoit de se complaire et de s’entr’aider. Au reste ils étoient ignorants comme des Créoles, et ne savoient ni lire ni écrire. Ils ne s’inquiétoient pas de ce qui s’étoit passé dans des temps reculés et loin d’eux ; leur curiosité ne s’étendoit pas au-delà de cette montagne. Ils croyoient que le monde finissoit où finissoit leur isle ; et ils n’imaginoient rien d’aimable où ils n’étoient pas. Leur affection mutuelle et celle de leurs meres occupoient toute l’activité de leurs ames. Jamais des sciences inutiles n’avoient fait couler leurs larmes ; jamais les leçons d’une triste morale ne les avoient remplis d’ennui. Ils ne savoient pas qu’il ne faut pas dérober, tout chez eux étant commun ; ni être intempérant, ayant à discrétion des mets