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PAUL

peines, finissoit bien souvent par les faire pleurer ; l’une se rappelant que ses maux étoient venus d’avoir négligé l’hymen, et l’autre d’en avoir subi les lois ; l’une, de s’être élevée au-dessus de sa condition, et l’autre, d’en être descendue : mais elles se consoloient en pensant qu’un jour leurs enfants, plus heureux, jouiroient à la fois, loin des cruels préjugés de l’Europe, des plaisirs de l’amour et du bonheur de l’égalité.

Rien en effet n’étoit comparable à l’attachement qu’ils se témoignoient déja. Si Paul venoit à se plaindre, on lui montroit Virginie ; à sa vue il sourioit et s’appaisoit. Si Virginie souffroit, on en étoit averti par les cris de Paul ; mais cette aimable fille dissimuloit aussitôt son mal pour qu’il ne souffrît pas de sa douleur. Je n’arrivois point de fois ici que je ne les visse tous deux tout nus, suivant la coutume du pays, pouvant à peine marcher, se tenant ensemble par les mains et sous les bras, comme on représente la constellation des gémeaux. La nuit même ne pouvoit les séparer ; elle les surprenoit souvent couchés dans le même berceau, joue contre joue, poitrine contre poitrine, les mains passées mutuellement autour de