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ET VIRGINIE

flamme qui s’envole vers le ciel lorsqu’elle n’a plus d’aliment sur la terre.

Les devoirs de la nature ajoutoient encore au bonheur de leur société. Leur amitié mutuelle redoubloit à la vue de leurs enfants, fruits d’un amour également infortuné. Elles prenoient plaisir à les mettre ensemble dans le même bain, et à les coucher dans le même berceau. Souvent elles les changeoient de lait. « Mon amie, disoit madame de la Tour, chacune de nous aura deux enfants, et chacun de nos enfants aura deux meres ». Comme deux bourgeons qui restent sur deux arbres de la même espece, dont la tempête a brisé toutes les branches, viennent à produire des fruits plus doux, si chacun d’eux, détaché du tronc maternel, est greffé sur le tronc voisin ; ainsi ces deux petits enfants, privés de tous leurs parents, se remplissoient de sentiments plus tendres que ceux de fils et de fille, de frere et de sœur, quand ils venoient à être changés de mamelles par les deux amies qui leur avoient donné le jour. Déja leurs meres parloient de leur mariage sur leurs berceaux, et cette perspective de félicité conjugale, dont elles charmoient leurs propres