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PAUL

enceinte, et n’ayant pour tout bien au monde qu’une négresse, dans un pays où elle n’avoit ni crédit ni recommandation. Ne voulant rien solliciter auprès d’aucun homme après la mort de celui qu’elle avoit uniquement aimé, son malheur lui donna du courage. Elle résolut de cultiver avec son esclave un petit coin de terre, afin de se procurer de quoi vivre.

Dans une isle presque déserte dont le terrain étoit à discrétion elle ne choisit point les cantons les plus fertiles ni les plus favorables au commerce ; mais cherchant quelque gorge de montagne, quelque asile caché où elle pût vivre seule et inconnue, elle s’achemina de la ville vers ces rochers pour s’y retirer comme dans un nid. C’est un instinct commun à tous les êtres sensibles et souffrants de se réfugier dans les lieux les plus sauvages et les plus déserts ; comme si des rochers étoient des remparts contre l’infortune, et comme si le calme de la nature pouvoit appaiser les troubles malheureux de l’ame. Mais la Providence, qui vient à notre secours lorsque nous ne voulons que les biens nécessaires, en réservoit un à madame de la Tour que ne donnent ni les richesses ni la grandeur ; c’étoit une amie.