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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

A ni B. Non ! Non ! ce qui a été commencé cette nuit ne sera pas achevé ! J’ai rêvé. J’étais fou.

L’abbé Menou-Segrais regagna son fauteuil, s’y étendit, et répliqua sans élever la voix :

— Qui le sait ? Lequel d’entre ceux que nous honorons comme nos pères dans la foi n’a été traité de visionnaire ? Quel visionnaire n’a eu ses disciples ? Au point où vous êtes, vos œuvres seules parleront pour ou contre vous.

Après un moment, il ajouta, sur un ton plus doux :

— Ne suis-je pas à plaindre aussi, mon enfant ? Mon expérience des âmes, une réflexion de plusieurs mois me portent à croire que Dieu vous a choisi. Les nigauds incrédules n’admettent pas les saints. Les nigauds dévots s’imaginent qu’ils poussent tout seuls comme l’herbe des champs. Peu savent que l’arbre est d’autant plus fragile qu’il est d’essence plus rare. Votre destinée, à laquelle tant d’autres destinées sont liées sans doute, cela est à la merci d’un faux pas, d’un abus même involontaire de la grâce, d’une décision hâtive, d’une incertitude, d’une équivoque. Et vous m’êtes confié ! Vous êtes à moi ! De quelles mains tremblantes je vous offre à Dieu ! Aucune faute