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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

par la nature à la tristesse qu’à la joie…

Il parut réfléchir un instant, chercher à sa pensée une expression modérée, conciliante, puis, se décidant tout à coup, d’une voix que la passion assourdissait plutôt, comparable à une flamme sombre :

— Ah ! plutôt le désespoir, s’écria-t-il, et tous les tourments qu’une lâche complaisance pour les œuvres de Satan !

À sa grande surprise, car il avait laissé échapper ce souhait comme un cri, et l’avait entendu avec une espèce d’effroi, le doyen de Campagne lui prit les deux mains dans les siennes et dit doucement :

— C’en est assez : je lis clairement en vous : je ne m’étais pas trompé. Non seulement vous n’avez pas sollicité de consolation, mais vous avez entretenu votre esprit de tout ce qui était capable de vous pousser au désespoir. Vous avez entretenu le désespoir en vous.

— Non pas le désespoir, s’écria-t-il, mais la crainte.

— Le désespoir, répéta l’abbé Menou-Segrais sur le même ton, et qui vous eût conduit de la haine aveugle du péché au mépris et à la haine du pécheur.