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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

faut le convaincre de folie. On n’y manque pas, c’est entendu. Mais le problème n’est pas résolu pour si peu. Chacun de nous — ah ! puissiez-vous retenir ces paroles d’un vieil ami ! — est tour à tour, de quelque manière, un criminel ou un saint, tantôt porté vers le bien, non par une judicieuse approximation de ses avantages, mais clairement et singulièrement par un élan de tout l’être, une effusion d’amour qui fait de la souffrance et du renoncement l’objet même du désir, tantôt tourmenté du goût mystérieux de l’avilissement, de la délectation au goût de cendre, le vertige de l’animalité, son incompréhensible nostalgie. Hé ! qu’importe l’expérience, accumulée depuis des siècles, de la vie morale. Qu’importe l’exemple de tant de misérables pécheurs, et de leur détresse ! Oui, mon enfant, souvenez-vous. Le mal, comme le bien, est aimé pour lui-même, et servi.

La voix naturellement faible du doyen de Campagne s’était assourdie peu à peu, en sorte qu’il semblait depuis un moment parler pour lui tout seul. Il n’en était rien pourtant. Son regard, sous les paupières à demi baissées, ne quittait point le visage de l’abbé Donissan.

Jusqu’alors ce visage était resté en apparence