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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

comme la chute brusque du vent, sur une mer démontée, dans une nuit noire.

La même chose ignorée lui manquait toujours, manquait à sa vie. Mais quoi ? Mais laquelle ? Vainement elle essuyait ses joues déchirées à coups d’ongle, ses lèvres mordues ; vainement elle regardait à travers les vitres la lumière de l’aube ; vainement elle répétait de sa triste voix sans timbre : « C’est fini… c’est fini !…» La vérité lui apparaissait ; l’évidence serrait son cœur ; même la folie lui refusait son asile ténébreux. Non ! elle n’était pas folle, ne le serait jamais. Cette chose lui manquait, qu’elle avait tenue — mais où ? mais quand ! De quelle manière ? Et il était sûr à présent qu’elle s’était joué depuis quelques instants la comédie de la démence pour masquer, pour oublier — à quelque prix que ce fût — son mal réel, inguérissable, inconnu.

(Ah ! parfois Dieu nous appelle d’une voix si pressante et si douce ! Mais, quand il se retire tout à coup, le hurlement qui s’élève de la chair déçue doit étonner l’enfer !)

C’est alors qu’elle appela — du plus profond, du plus intime — d’un appel qui était comme un don d’elle-même, Satan.