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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

savaient-ils, ces messieurs, de la terrible aventure ? — Presque rien, l’essentiel demeurant son secret. Elle était, au milieu de ces nouveaux spectateurs, ce qu’elle avait désiré d’être, toujours semblable à son personnage favori, une fille dangereuse et secrète, au destin singulier, une héroïne parmi les couards et les sots… Toutefois, aujourd’hui, à cet instant…

Qui justifiait sa terreur ? Au tournant de la route déserte, elle ne laissait derrière elle qu’un jeune prêtre, rencontré déjà bien des fois, inoffensif en apparence, et même un peu sot. Sans doute il a parlé. Qu’a-t-il donc dit de tellement grave ? À ce point, l’effort qu’elle fait pour se reprendre, se dominer, ne peut se poursuivre. De minute en minute, il lui paraît cependant plus clair qu’elle s’est trouvée dupe en quelque façon. Elle a pris peur pour un certain nombre de phrases vagues, d’allusions en apparence perfides — peut-être innocentes, maladroitement interprétées. Lesquelles encore ? Un mot dit en passant sur le crime déjà si ancien, presque oublié, un mot fait plutôt pour la rassurer : « Vous n’êtes pas devant Dieu coupable de ce meurtre… » (elle a beau répéter ces mêmes mots, elle ne retrouve pas la rage humiliée qui