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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

face contre terre, c’est la cruelle surprise de ne sentir au fond de son cœur humilié qu’un amer dégoût.

Un moment — un seul moment — l’idée lui vient (mais si embarrassée de se formuler seulement) : briser l’obstacle, répéter le geste meurtrier. Elle l’écarte aussitôt : elle lui paraît vaine et grotesque, pareille à ces entreprises poursuivies dans les rêves. On ne tue pas pour quelques paroles obscures. Telle est la raison qu’elle se donne ; mais il est plus vrai qu’en l’atteignant dans son orgueil le rude adversaire a rompu le ressort de sa vie.

Le danger l’exciterait plutôt ; l’odieux ne l’arrêterait pas. Elle craint seulement quelque chose qui pourrait être le ridicule ou la pitié. Comme il arrive parfois, les mots qui lui viennent tout à coup aux lèvres, sans qu’elle les cherche, expriment sa crainte profonde : « Ils me croiraient tout à fait folle », murmura-t-elle.

Folle !… Elle arrête ici un long moment sa pensée. Jusqu’alors, même à l’hospice de Campagne, elle n’a pas douté de sa raison. Dès le premier instant de lucidité, elle écoutait discuter son cas avec une ironique curiosité. — Que