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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

De toi, tu n’as tiré que de vains rêves, toujours déçus. Tu crois avoir tué un homme… Pauvre fille ! tu l’as délivré de toi. Tu as détruit de tes mains l’unique instrument possible de ton abominable libération. Et, quelques semaines après, tu rampais aux pieds d’un autre qui ne le valait pas. Celui-là t’a mis la face contre terre. Tu le méprises et il te craint. Mais tu ne peux lui échapper.

— …Je ne puis… lui… échapper, bégaya Mouchette. Sa terreur et sa rage étaient telles que sur son visage, d’une excessive mobilité, à présent durci, se peignit comme une sérénité sinistre.

— Je sais que je le puis, dit-elle enfin. Quand je le voudrai. On m’a crue folle : qu’ai-je fait pour les détromper tous ? J’attendais d’être prête, voilà tout.

Il appuya si violemment la main sur son épaule qu’elle chancela.

— Tu ne seras jamais prête. Tu ne dérobes à Dieu que le pire : la boue dont tu es faite, Satan ! Te crois-tu libre ? Tu ne l’aurais été qu’en Dieu. Ta vie…

Il respira profondément, pareil à un lutteur qui va donner son effort. Et déjà montait dans