Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 2, 1926.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
SOUS LE SOLEIL DE SATAN

dépossédé… Tant de lecteurs, pas un ami !

Il n’en éprouve d’ailleurs nul regret. La certitude qu’il échappe ainsi pour toujours, qu’on n’aura de lui qu’un simulacre, fait briller son regard malicieux. Le meilleur de son œuvre ne mérite pas d’autre conclusion que cette plaisanterie in extremis. Il ne souhaite aucun disciple. Ceux qui l’entourent sont des ennemis. Impuissants à renouveler un charme, une gentillesse dont leur maître eut le secret, ils se contentent de pasticher adroitement son style. Leurs plus grandes audaces sont dans l’ordre de la grammaire. « Ils démontent mes paradoxes, dit-il, mais ils ne savent pas les remonter. » La jeunesse décimée, qui vit Péguy couché dans les chaumes, à la face de Dieu, s’éloigne avec dégoût du divan où la supercritique polit ses ongles. Elle laisse à Narcisse le soin de raffiner encore sur sa délicate impuissance. Mais elle hait déjà, de toutes les forces de son génie, les plus robustes et les mieux venus du troupeau qui briguent la succession du mauvais maître, distillent en grimaçant leurs petits livres compliqués, grincent au nez des plus grands, et n’ont d’autre espoir en ce monde que de pousser leur crotte aigre et difficile au bord