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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

Le regard que l’homme de Dieu tenait baissé sur Mouchette, à toute autre, peut-être, eût fait plier les genoux. Et il est vrai qu’elle se sentit, pour un moment, hésitante et comme attendrie. Mais alors un secours lui vint — jamais vainement attendu — d’un maître de jour en jour plus attentif et plus dur ; rêve jadis à peine distinct d’autres rêves, désir plus âpre à peine, voix entre mille autres voix, à cette heure réelle et vivante ; compagnon et bourreau, tour à tour plaintif, languissant, source des larmes, puis pressant, brutal, avide de contraindre, puis encore, à la minute décisive, cruel, féroce, tout entier présent dans un rire douloureux, amer, jadis serviteur, maintenant maître.

Cela jaillit d’elle tout à coup. Une colère aveugle, une rage de défier ce regard, de lui fermer son âme, d’humilier la pitié qu’elle sentait sur elle suspendue, de la flétrir, de la souiller. Son élan la jeta, toute frémissante, non pas aux pieds, mais face au juge, dans son silence souverain.

Elle ne trouvait d’abord aucun mot ; en était-il pour exprimer ce transport sauvage ? Elle repassait seulement dans son esprit, mais