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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

le récit des événements de la journée, vingt fois repris par son sourcilleux compagnon, qu’un léger mouvement d’impatience de l’illustre maître rejetait chaque fois au néant. Lorsqu’il eut tout entendu :

— Ma foi, monsieur, dit le romancier, je n’espérais pas tant d’une journée mal commencée. Ô la rafraîchissante surprise d’un peu de surnaturel et de miraculeux !

— Surnaturel et miraculeux ? protesta d’une voix grave le curé de Luzarnes.

— Pourquoi pas ? demanda brusquement Saint-Marin, se retournant tout d’une pièce vers son inoffensif ennemi.

(Si bas que le grand homme soit tombé, la bêtise toute nue lui fait honte. Mais il redoute par-dessus tout de rencontrer son image dans la sottise ou la lâcheté d’autrui, comme dans un tragique miroir.)

— Pourquoi pas ? répéta-t-il, plutôt sifflant qu’épelant chaque mot entre ses longues dents jointes. Nous espérons tous un miracle, monsieur, et le triste univers l’appelle avec nous. Aujourd’hui, ou dans un millier de siècles, que m’importe, si quelque événement libérateur doit faire brèche un jour dans le mécanisme