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LE SAINT DE LUMBRES

fardeau, ressemble à un merveilleux navire, qui a jeté l’ancre pour toujours. Il n’y a plus que ce regard en arrière — un long regard d’exilé — aussi net qu’un signe de la main.

Certes, le curé de Lumbres ne le craint pas, ce regard ; mais il l’interroge. Il essaie de l’entendre. Tout à l’heure, dans une espèce de défi, il a passé le seuil de la porte, prêt à jouer entre ces quatre murs blancs une partie désespérée. Il a marché vers le mort sans attendrissement, sans pitié, comme sur un obstacle à franchir, une chose à ébranler, trop pesante… Et voici que le mort l’a devancé : c’est lui qui l’attend, pareil à un adversaire résolu, sur ses gardes.

Il fixe cet œil entr’ouvert avec une attention curieuse, où la pitié s’efface à mesure, puis avec une espèce d’impatience cruelle. Certes, il a contemplé la mort aussi souvent que le plus vieux soldat ; un tel spectacle est familier. Faire un pas, étendre la main, clore des doigts la paupière, recouvrir la prunelle qui le guette, que rien ne défend plus, quoi de plus simple ? Nulle terreur ne le retient aujourd’hui, nul dégoût. Plutôt le désir, l’attente inavouée d’une chose impossible, qui va s’accomplir en dehors de lui, sans lui. Sa pensée hésite, recule, avance de