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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

bouche ineffable, étouffer son cri… Non ! La main qui le serre est plus savante et plus forte ; le regard qui se rassasie de lui n’est pas un regard humain. À la haine effroyable qui couve le juste expirant, tout est donné, tout est livré. La chair divine n’est pas seulement déchirée, elle est forcée, profanée, par un sacrilège absolu, jusque dans la majesté de l’agonie… La dérision de Satan, mon ami ! Le rire, l’incompréhensible joie de Satan !…

…Pour un tel spectacle, dit-il après un silence, notre boue est encore trop pure…

— Le drame du Calvaire, commença le futur chanoine…

Il n’acheva pas. Dès ce moment, ce prêtre cartésien cessa de voir clair en lui. L’éminent philosophe, dont les discours révélèrent jadis à tant de belles curieuses un autre univers sensible, et qui, par un dosage savant de mathématique et d’esprit, fit du problème de l’être un divertissement d’honnêtes gens — s’il eût un jour entendu parler l’un de ses singuliers animaux, tout en ressorts, leviers et pignons — ne se serait pas trouvé plus accablé que le prêtre malheureux, jusqu’alors si ferme, et qui, subitement tiré hors de lui-même, ne se reconnaît plus.