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HISTOIRE DE MOUCHETTE

peu poussée, une plaisanterie comme tout le monde peut en faire ? Une mauvaise plaisanterie.

— Une plaisanterie, finit-elle par bégayer…

Une colère énorme battait à grands coups dans sa poitrine, mais elle l’étouffa. Le feu de l’orgueil déçu acheva de consumer ce qui restait en elle de la folle et cruelle adolescence ; elle se sentit tout à coup, dans son sein, le cœur insurmontable et, dans sa tête, l’intelligence froide et positive d’une femme, sœur tragique de l’enfant.

— Ne va pas me manquer en un pareil moment, s’écria-t-elle, ou ce sera ton tour de pleurer. Crois ce que tu veux ; peut-être suis-je lasse de retenir ce secret, peut-être le remords ? ou simplement la peur… Pourquoi n’aurais-je pas peur comme tout le monde ? Crois ce que tu veux, mais ne refuse pas ta part. D’ailleurs, j’en ai trop dit maintenant. Oui ! C’est moi qui l’ai tué. Quel jour ? Le 27… Quelle heure ? Trois quarts passé minuit. (Je vois encore l’aiguille…) …J’ai décroché son fusil, il était pendu au mur, sous la glace… Non ! Je n’étais peut-être pas absolument sûre qu’il fût chargé. Il l’était. J’ai tiré quand le bout du canon l’a touché. Il a failli tomber sur moi. Mes souliers étaient pleins de sang ; je les ai lavés dans la mare. J’ai