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HISTOIRE DE MOUCHETTE

fait de me laisser partir. Je serais revenue. J’ai besoin de toi, mon minet… Oh ! pas pour ce que tu penses, s’écria-t-elle en lui prenant la main ; nous n’allons pas nous brouiller pour un gosse de rien du tout, et qui ne viendra jamais au monde, je t’en donne ma parole ! Je ne veux pas de scandale ici. Pour le risque, je m’en fiche ! Non. J’ai besoin de toi, parce que tu es le seul homme à présent auquel je puis parler sans mentir.

Comme il haussait les épaules :

— Tu crois que ça n’est rien, reprit Mouchette. (Elle parlait vite, vite, avec une fièvre charmante.) Hé bien ! mon chéri, on voit que tu ne me ressembles guère ! Quand j’étais petite, je mentais souvent sans plaisir. À présent, c’est plus fort que moi. Devant toi, je suis ce que je veux. La sale crampe, non pas de jouer son rôle, mais justement le rôle qui dégoûte ! Pourquoi ne sommes-nous pas comme les bêtes qui vont, viennent, mangent, meurent sans jamais penser au public ? À la porte de la boucherie centrale, tu vois des bœufs manger leur foin à deux pas du mandrin, devant le boucher aux bras rouges, qui les regarde en riant. J’envie ça, moi ! Et même, je te dirai plus…

— Ta-ra-tata ? interrompit le médecin de Campagne. Dis-moi plutôt, là, franchement,