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HISTOIRE DE MOUCHETTE

que tu connais mal. Mais si tu es enceinte, Mouchette, tu ne l’es pas de moi.

— N’en parlons plus, s’écria-t-elle en riant. J’irai jusqu’à Boulogne, voilà tout. Croirait-on pas que je te demande la lune ?

— La simple honnêteté m’impose encore un devoir…

— Lequel ?

— Je dois t’avertir qu’une intervention chirurgicale est toujours dangereuse, parfois mortelle… Voilà.

— Voilà ! fit-elle.

Puis, s’étant levée, elle gagna la porte, d’un pas discret, presque humble. Mais c’est en vain qu’elle tourna la poignée, d’un geste d’abord hésitant, puis de plus en plus nerveux, puis affolé. Par distraction sans doute, Gallet l’avait refermée à double tour. Elle fit quelques pas en arrière, jusqu’au bureau, où elle s’arrêta, toute pâle. Elle se parlait à elle-même ; elle répéta plusieurs fois d’une voix blanche :

— Cela me rappelle quelque chose, mais quoi ?

Fut-ce le bruit de la pluie sur les vitres ? Ou l’ombre tout à coup épaissie ? Ou quelque cause plus secrète ? Gallet courut à la porte, la tira, l’ouvrit toute grande. Il l’ouvrit. Et moins à sa maîtresse qu’à sa peur, à son propre péril — il