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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

secret. Et d’abord il crut qu’elle dormait. Mais elle dit, tout à coup, de sa voix tranquille :

— Qu’est-ce que tu fais, tout droit, avec cette bouteille dans la main ? Pose-la ! Non, pose-la, je t’en prie ! Écoute-moi : j’ai été malade ? Évanouie ? Non ! C’est vrai ? Vois-tu, quand même, si j’étais morte, là, chez toi !… Ne me touche pas ! Ne me touche pas surtout !

Il s’assit drôlement au bord d’une chaise, son flacon tenu toujours entre ses fortes mains. Cependant son visage reprenait peu à peu son expression habituelle d’entêtement sournois, parfois féroce. Il finit par hausser les épaules.

— Tu peux te moquer, reprit-elle de sa voix toujours calme : c’est comme ça. Quand je me suis emballée… emballée… emballée…, j’ai horriblement peur qu’on me touche…, il me semble que je suis en verre. Oui, c’est bien ça… une grande coupe vide.

— Hyperesthésie, c’est normal après un choc nerveux.

— Hyper… quoi ? Quel drôle de mot ! Ainsi tu connais ça ? Tu as soigné des femmes comme moi ?

— Des centaines, répondit-il avec fierté, des centaines… Au lycée de Montreuil, j’ai vu des cas autrement graves. Ces crises ne sont pas rares chez des jeunes filles qui vivent en com-