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HISTOIRE DE MOUCHETTE

hyperémotivité m’effraie. Je te conseille le calme.

Il aurait pu poursuivre longtemps, sur le même ton, car Mouchette ne l’entendait plus. D’un mouvement presque insensible, son buste s’était incliné en avant, ses épaules avaient roulé sur le divan et, lorsqu’il prit la petite tête entre ses deux mains, il vit d’abord un pâle visage de pierre.

— Sapristi ! fit-il.

En vain il tenta de desserrer les mâchoires, faisant grincer sur les dents jointes une spatule d’ivoire. La lèvre retroussée saigna.

Il alla vers sa pharmacie, ouvrit la porte, tâtonna parmi les flacons, choisit, flaira, cependant l’oreille attentive et le regard inquiet, gêné par cette présence silencieuse, derrière lui, attendant sans se l’avouer un cri, un soupir, un signe dans le reflet des vitres, on ne sait quoi qui romprait le charme… Enfin il se retourna.

La tête droite à présent, sagement assise sur le tapis, Mouchette le regardait venir, avec un sourire triste. Il ne lisait rien, dans ce sourire, qu’une inexplicable pitié, dispensée de si haut, d’une suavité surhumaine. La lumière de la lampe tombant à plein sur le front blanc, le bas du visage dans l’ombre, ce sourire, à peine deviné, demeurait étrangement immobile et