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HISTOIRE DE MOUCHETTE

pour Germaine un autre secret, un autre silencieux défi. Elle s’était d’abord jetée au bras du goujat sans âme et se cramponnait à cette autre épave. Mais l’enfant révoltée, d’une ruse très sûre, eut vite fait d’ouvrir ce cœur, comme un abcès. Autant par délectation du mal, certes, que par un jeu dangereux, elle avait fait d’un ridicule fantoche une bête venimeuse, connue d’elle seule, couvée par elle, pareille à ces chimères qui hantent le vice adolescent, et qu’elle finissait par chérir comme l’image même et le symbole de son propre avilissement.

Toutefois de ce jeu, déjà, elle était lasse.

— Voilà, dit-il, en jetant sur la carpette les deux souliers.

Et il fut aussitôt étonné du silence. D’un regard, toujours coulé de biais, il entrevit dans l’ombre le petit corps étendu sur le fauteuil, les genoux repliés, la tête inclinée sur l’épaule, un coin des lèvres imperceptiblement retroussé vers le haut, les joues pâlies.

— Mouchette, appela-t-il, Mouchette !

En même temps, il s’approchait vivement, caressait des doigts les paupières closes. Elles s’entrouvrirent lentement, mais sur un regard encore sans pensée. Puis elle tourna la tête, et gémit.