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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

une de ses jambes sur l’accoudoir du fauteuil, l’autre repliée, délaçait tranquillement sa bottine.

— Je profite de l’occasion, remarqua-t-elle, vois-tu ? Elles me font un mal horrible ; j’ai couru tout le jour avec. Tu me donneras les petits souliers de daim que j’ai laissés ici mardi, oui ! sur la planche du cabinet de toilette, derrière la caisse. Et puis, sais-tu ? Je ne m’en irai pas ce soir. J’ai dit à papa que j’irais sans doute à Caulaincourt, chez ma tante Malvina… Ta femme rentre demain, je pense ?

Il l’écoutait bouche bée, sans remarquer dans l’étonnante mobilité du petit visage quelque chose d’immobile et de contracté, un pli de fatigue et d’obsession, qui grimaçait jusque dans le sourire.

— Tu finiras par tout casser avec tes imprudences, reprit-il d’un ton plaintif. Au début, je ne te voyais qu’à Boulogne ou Saint-Pol, et maintenant tu ne sais qu’inventer… As-tu vu Timoléon ? Pour moi…

— Qui ne risque rien n’a rien, conclut-elle gravement. Va toujours chercher mes souliers, veux-tu ? Et prends garde de refermer la porte derrière toi.

Elle suivit des yeux son étrange amant glissant sur ses pantoufles de feutre, serré dans