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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

Elle était elle-même aussi pâle que son petit col. Elle répondit : non ! les dents jointes.

— Allons ! reprit-il… veux-tu me faire croire ?…

— Il est mon amant, là !

Elle se délivrait de ce nouveau mensonge, ainsi qu’on crache une liqueur âpre et brûlante. Et quand elle n’entendit plus l’écho de sa propre voix, elle sentit son cœur défaillir, comme à la descente de l’escarpolette. Pour un peu, son accent l’eût trompée elle-même et, tandis qu’elle jetait au marquis ce mot d’amant, elle croisa les deux bras sur ses seins, d’un geste à la fois naïf et pervers, comme si ces deux syllabes magiques l’eussent dépouillée, montrée nue.

— Nom de Dieu ! s’écria Cadignan.

Il s’était levé d’un bond, et si vite que le premier élan de la pauvrette, mal calculé, la porta presque dans ses bras. Ils se rencontrèrent au coin de la salle, et restèrent un moment face à face, sans rien dire.

Déjà elle échappait, sautait sur une chaise qui s’effondrait, puis de là sur la table ; mais ses hauts talons glissèrent sur le noyer ciré ; en vain elle étendit les mains. Celles du marquis l’avaient saisie à la taille, la tiraient vivement en arrière. La violence du choc l’étourdit ; le