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HISTOIRE DE MOUCHETTE

vint plus tard de cet étrange accès comme de la plus folle dépense qu’elle eût jamais faite d’elle-même, un cauchemar voluptueux.

« Pourquoi pas ? » pensait Cadignan. — Voyez-vous, cette niaise, conclut-il tout haut, la voyez-vous qui croit sur parole un Jean-foutre de renégat, un marchand de phrases, la pire espèce d’arlequin ! Il en fera de toi comme de ses électeurs, ma fille ! Bonne amie d’un député, fichtre !

— Riez toujours, dit Mouchette, on a vu pis.

Le nez du rustre, ordinairement rose et jovial, était plus blême que ses joues. Un moment, remâchant sa colère, il marcha de long en large, les deux mains dans son ample vareuse de velours ; puis il fit quelques pas vers sa maîtresse attentive qui, pour l’éviter, tournant à gauche, laissa prudemment la table entre elle et son dangereux adversaire. Mais il passa les yeux baissés, alla droit vers la porte, la ferma, et mit la clef dans sa poche.

Puis il regagna son fauteuil, et dit sèchement :

— Ne m’échauffe plus les oreilles, fillette. Tu l’as voulu ; je te garde ici jusqu’à demain, pour rien, pour le plaisir… C’est à mon risque. Et maintenant sois sage, et réponds-moi, si tu peux. Des blagues, tout ça ?