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HISTOIRE DE MOUCHETTE

mois de solitude, l’honneur retrouvé au bras d’un sot,… et des années, des années encore, toutes grises, au milieu d’un peuple de marmots, elle vit cela dans un éclair et gémit.

Hélas ! comme un enfant, parti le matin pour découvrir un nouveau monde, fait le tour du potager, et se retrouve auprès du puits, ayant vu périr son premier rêve, ainsi n’avait-elle fait que ce petit pas inutile hors de la route commune. « Rien n’est changé, murmurait-elle, rien de nouveau… » Mais contre l’évidence, une voix intérieure, mille fois plus nette et plus sûre, témoignait de l’écroulement du passé, d’un vaste horizon découvert, de quelque chose de délicieusement inattendu, d’une heure irréparablement sonnée. À travers son bruyant désespoir, elle sentait monter la grande joie silencieuse, pareille à un pressentiment. Qu’elle trouvât quelque part, ici ou là, un asile, qu’importe ! Qu’importe un asile à qui sut franchir une fois le seuil familier et trouve la porte à refermer derrière soi si légère ? Ce débauché de marquis craignait l’opinion du bourg, qu’elle affectait de braver ? Tant pis ! Elle n’en sentait pas moins sa propre force, en ayant trouvé la mesure dans la faiblesse d’autrui. Dès ce moment, son proche destin se pouvait lire au fond de ses yeux insolents.