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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

la trappe du logis paternel, bientôt retombée, l’inévitable souricière qu’elle avait fuie deux heures plus tôt, dans un délire d’espérance. « Il m’a déçue, » songeait-elle. Mais en conscience, elle n’eût su dire comment ni pourquoi. Déjà la maîtresse et l’amant, encore face à face, ne se reconnaissent plus. Le bonhomme à son déclin croit faire assez en payant naïvement des félicités bourgeoises d’un dernier écu que la petite sauvage eût plus détesté que la misère et la honte… Qu’était-elle venue demander, à travers cette première libre nuit, à ce gaillard déjà bedonnant qui ne tenait que de sa race paysanne et militaire une énergie toute physique, et comme une espèce de grossière dignité ? Elle s’était échappée, voilà tout ; elle frémissait de se sentir libre. Elle avait couru à lui comme au vice, à l’illusion longtemps caressée de faire une fois le pas décisif, de se perdre pour tout de bon. Tel livre, telle mauvaise pensée, telle image entrevue les yeux clos, au ronron du poêle, les mains jointes sur l’ouvrage oublié, se représentaient tout à coup à son souvenir, avec une affreuse ironie. Le scandale qu’elle avait rêvé, un scandale à faire tourner les têtes, était ramené tout doucement aux proportions d’un coup de tête d’écolière. Le retour au logis, l’accouchement discret, des