Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
HISTOIRE DE MOUCHETTE

puis s’arrêtant brusquement, tout à coup sérieuse, elle remarqua d’une voix douce :

— Ah oui ! M. Gallet ? Je devais aller le trouver demain, avec papa. Une idée à lui.

— Une idée à lui ! Une idée à lui ! Comme elle dit ça ! Je l’ai répété cent fois, Mouchette ; je ne suis pas un méchant homme, je sais mon tort. Mais nom d’un chien de nom d’un chien ! Je n’ai plus le sou. En vendant ici jusqu’à la dernière barrique, il me restera de quoi ne pas crever de faim, une misère ! J’ai des parents riches, oui, ma tante Arnoult, d’abord, mais solide à soixante ans comme un fonds de basane, riche comme une pierre à fusil, une femme à m’enterrer… J’ai déjà trop d’aventures. Il faut jouer serré, cette fois, Mouchette ; et d’abord gagner du temps.

— Oh ! fit-elle, que c’est joli !… Dieu que c’est joli !

Elle lui tournait le dos, caressant des deux mains une petite commode Louis XV de laque à pagodes, ornée de bronzes dorés. Du bout des doigts, elle traçait des signes mystérieux, dans la poussière, sur le marbre de brèche violette.

— Laisse la commode tranquille, dit-il. De ces vieilleries-là, j’ai le grenier plein. Tu pour-