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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

comme un perdreau de la Saint-Jean. Le premier garde venu te rapportera dans sa gibecière.

— Pensez-vous ? dit-elle. J’ai de l’argent. Qu’est-ce qui m’empêche de prendre demain soir le train de Paris, par exemple ? Ma tante Eglé habite Montrouge, une belle maison, avec une épicerie. Je travaillerai. Je serai très heureuse.

— Petite sotte, es-tu majeure, oui ou non ?

— Ça viendra, répondit-elle, imperturbable. Il n’est que d’attendre.

Elle détourna les yeux un moment, puis, levant sur le marquis un regard tranquille :

— Gardez-moi ? fit-elle.

— Te garder, par exemple ! s’écria-t-il en marchant de long en large pour mieux cacher son embarras. Te garder ? Tu ne doutes de rien. Où te garder ? Crois-tu que je dispose ici d’une oubliette à jolies filles ? On ne voit ça que dans les romans, finaude ! Avant demain soir ils nous seront tombés sur le dos, tous, ton père avec les gendarmes, la moitié du village, fourche en main… Jusqu’au député Gallet, médecin du diable, ce grand dépendeur d’andouilles !

Elle éclata de rire, en battant des mains ;