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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

« Niez si vous voulez, ai-je dit, la petite a tout raconté. »

— Oh ! ma…man ! maman, bégaya-t-elle, il a… osé…, il a osé !

Ses beaux yeux bleus, tout à coup secs et brûlants, devinrent couleur de violette ; son front pâlit, et elle remuait en vain des mots dans sa bouche aride.

— Tais-toi, tu vas nous la tuer, répétait la mère Malorthy. Misère de nous !

Mais, à défaut de parole, les yeux bleus en avaient déjà trop dit. Le brasseur reçut ce regard chargé de mépris, furtif. Telle qui défend ses petits est moins terrible et moins prompte que celle-là qui se voit arracher la chair de sa chair, son amour, cet autre fruit.

— Sors d’ici, va-t’en ! bégayait le père outragé.

Elle attendit un moment, les yeux baissés, la lèvre tremblante, retenant l’aveu prêt à s’échapper comme une suprême injure. Puis elle ramassa son tricot, l’aiguille et sa pelote, et passa le seuil d’un pas fier, plus rouge qu’une lieuse de gerbes, un jour de moisson.

Mais, sitôt libre, elle franchit l’escalier en deux bonds de biche, et referma sa porte en coup de vent. Par la fenêtre entr’ouverte, elle pouvait voir au bout de l’allée, entre deux hortensias, la grille de fonte peinte en blanc, qui