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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

autre que lui n’eût point imaginée sans éclairs et sans tonnerre, à présent qu’elle était accomplie, ne l’effrayait plus. Peut-être s’étonnait-il que la révélation en fût venue si tard. Sans pouvoir l’exprimer (car il ne sut l’exprimer jamais), il sentait que cette connaissance était selon sa nature, que l’intelligence et les facultés dont s’enorgueillissent les hommes y avaient peu de part, qu’elle était seulement et simplement l’effervescence, l’expansion, la dilatation de la charité. Déjà, incapable de se juger digne d’une grâce singulière, exceptionnelle, dans la sincérité de son humble pensée, il était près de s’accuser d’avoir retardé par sa faute cette initiation, de n’avoir pas encore assez aimé les âmes, puisqu’il les avait méconnues. Car l’entreprise était si simple, au fond, et le but si proche, dès que la route était choisie ! L’aveugle, quand il a pris possession du nouveau sens qui lui est rendu, ne s’étonne pas plus de toucher du regard le lointain horizon qu’il n’atteignait jadis qu’avec tant de labeur, à travers les fondrières et les ronces.

Toujours le carrier le précédait de son pas tranquille. Un instant, par surprise, l’abbé Donissan fut tenté de le joindre, de l’appeler. Mais ce ne fut qu’un instant. Cette âme tout à coup découverte l’emplissait de respect et