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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

l’autre, défoncée par les charrois, descend vers les carrières. On entendait au loin l’appel d’un coq, et des voix d’hommes : d’autres carriers sans doute, se hâtant vers le travail avant le jour… Ce fut à ce moment que l’abbé Donissan leva les yeux.


Était-ce devant lui son compagnon ? Il ne le crut pas d’abord. Ce qu’il avait sous les yeux, ce qu’il saisissait du regard, avec une certitude fulgurante, était-ce un homme de chair ? À peine si la nuit eût permis de découvrir dans l’ombre la silhouette immobile, et pourtant il avait toujours l’impression de cette lumière douce, égale, vivante, réfléchie dans sa pensée, véritablement souveraine. C’était la première fois que le futur saint de Lumbres assistait au silencieux prodige qui devait lui devenir plus tard si familier, et il semblait que ses sens ne l’acceptaient pas sans lutte. Ainsi l’aveugle-né à qui la lumière se découvre tend vers la chose inconnue ses doigts tremblants et s’étonne de n’en saisir la forme ni l’épaisseur. Comment le jeune prêtre eût-il été introduit sans lutte à ce nouveau mode de connaissance, inaccessible aux autres hommes ? Il voyait devant lui son compagnon, il le voyait à n’en pas douter, bien qu’il ne distinguât point ses traits, qu’il cher-