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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

l’oreille que par un geste instinctif du zèle qui le dévorait :

— Réponds donc ! (Il traça le signe de la croix, non sur l’objet, mais sur sa propre poitrine.) Dieu t’a-t-il donné ma vie ? Dois-je mourir ici même ?

— Non, dit la voix, du même accent déchirant. Nous ne disposons pas de toi.

— En ce cas, que je vive un jour, ou vingt ans, je devrai t’arracher ton secret. Je te l’arracherai, dussé-je te suivre où sont les tiens. Je ne te crains pas ! je n’ai pas peur ! Sans doute, tu m’es de nouveau obscur, mais je t’ai vu tout à l’heure, ô supplicié. N’as-tu pas perdu assez d’âmes ? Te faut-il encore d’autres proies ? Tu es entre mes mains. J’essaierai ce que Dieu m’inspirera. Je prononcerai des paroles dont tu as horreur. Je te clouerai au centre de ma prière comme une chouette. Ou tu renonceras à tes entreprises contre les âmes qui me sont confiées.

À sa grande surprise, et à l’instant même où il croyait donner toute sa force, irrésistiblement, il vit la dépouille s’agiter, s’enfler, reprendre une forme humaine, et ce fut le jovial compagnon de la première heure qui lui répondit :

— Je vous crains moins, toi et tes prières,