Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
LA TENTATION DU DÉSESPOIR

réseau qui les relie entre elles, les moindres vibrations de son vouloir, ainsi qu’un corps dénudé montrerait dans le dessin de ses artères et de ses veines le battement de la vie. Cette vision, à la fois une et multiple, telle que d’un homme qui saisirait du regard un objet dans ses trois dimensions, était d’une perfection telle que le pauvre prêtre se reconnut, non seulement dans le présent, mais dans le passé, dans l’avenir, qu’il reconnut toute sa vie… Hé quoi ! Seigneur, sommes-nous ainsi transparents à l’ennemi qui nous guette ? Sommes-nous donnés si désarmés à sa haine pensive ?…

Un moment, ils restèrent ainsi, face à face. L’illusion était trop subtile pour que l’abbé Donissan ressentît proprement de la terreur. Quelque effort qu’il fît, il ne lui était pas tout à fait possible de se distinguer de son double, et pourtant il gardait à demi le sentiment de sa propre unité. Non : ce n’était point de la terreur, mais une angoisse, d’une pointe si aiguë, que l’entreprise de sommer cette apparence, ainsi qu’un ennemi revêtu de sa propre chair, lui parut presque insensée. Il l’osa cependant.

— Retire-toi, Satan ! dit-il, les dents serrées…

Mais les mots s’étranglèrent dans sa gorge et