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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

Non ! cette force ne vient pas de moi, et tu le sais. Cependant, je t’observe depuis un moment avec quelque profit. Ton heure est venue.

— Cela n’a pas beaucoup de sens, répartit l’autre, doucement. De quelle heure parlez-vous ? Est-il encore une heure pour moi ?

— Il m’est donné de te voir, prononça lentement le saint de Lumbres. Autant que cela est possible au regard de l’homme, je te vois. Je te vois écrasé par ta douleur, jusqu’à la limite de l’anéantissement — qui ne te sera point accordé, ô créature suppliciée !

À ce dernier mot, le monstre roula de haut en bas du talus sur la route, et se tordit dans la boue, tiré par d’horribles spasmes. Puis il s’immobilisa, les reins furieusement creusés, reposant sur la tête et sur les talons, ainsi qu’un tétanique. Et sa voix s’éleva enfin, perçante, aiguë, lamentable :

— Assez ! Assez ! chien consacré, bourreau ! Qui t’a appris que de tout au monde la pitié est ce que nous redoutons le plus, bête ointe ! Fais de moi ce qu’il te plaira… Mais si tu me pousses à bout…

Quel homme n’eût entendu avec effroi cette plainte proférée avec des mots — et cependant hors du monde ? Quel homme n’eût au moins