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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

l’autre d’une voix également basse, mais on ne nous quitte pas sans péril.

— Va-t’en, répondit doucement le vicaire de Campagne.

L’affreuse créature fit un bond, tourna plusieurs fois sur elle-même avec une incroyable agilité, puis fut violemment lancée, comme par une détente irrésistible, à quelques pas, les deux bras étendus, ainsi qu’un homme qui chercherait en vain à rattraper son équilibre. Si grotesque que fût cette cabriole inattendue, la succession des mouvements, leur violence calculée, plus encore leur brusque arrêt avaient je ne sais quelle singularité qui ne prêtait pas à rire. L’obstacle invisible contre lequel le noir lutteur s’était tout à coup heurté n’était certes pas ordinaire, car, bien qu’il eût paru en esquiver le choc avec une souplesse infinie, dans le grand silence, imperceptiblement, mais jusque dans ses profondeurs, le sol trembla et gémit.

Il recula lentement, tête basse, et s’assit sans bruit, comme humblement.

— Vous me tenez donc, dit-il en haussant les épaules. Jouissez de votre pouvoir tout le temps qui vous est donné.

— Je n’ai aucun pouvoir, répondit l’abbé Donissan, avec tristesse ; pourquoi me tenter ?