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LA TENTATION DU DÉSESPOIR

— L’abbé ! Monsieur l’abbé ! Hé ! l’abbé !… appela le maquignon d’une voix forte. Vous passez, l’ami ! Vous êtes froid… Hé là !

Il lui prit les deux mains dans une seule de ses larges paumes, et de l’autre il frappait sur elles à petits coups.

— Levez-vous, sacrebleu ! Mettez-vous debout, nom de nom ! Il y a de quoi se geler le sang, ma parole !

Il glissa les doigts sous la soutane et tâta le cœur. Puis, par une succession de gestes plus rapides, et pour ainsi dire instantanés, il lui toucha le front, les yeux, la bouche. Puis, encore, il reprit les mains entre les siennes et il souffla dedans son haleine. Chacun de ses mouvements trahissait une hâte un peu fébrile, celle de l’ouvrier qui achève un travail délicat, et craint d’être surpris par la tombée du jour, ou par quelque visite importune. Enfin, tout à coup, ramenant ses mains sur sa propre poitrine, et agité d’un grand frisson, comme s’il eût plongé lentement dans une eau profonde et glacée, il se mit brusquement debout.

— Je résiste au froid, dit-il : je résiste merveilleusement au froid et au chaud. Mais je m’étonne de vous voir encore là, sur cette boue glacée, immobile, assis. Vous devriez être mort, ma parole… Il est vrai que vous vous êtes bien