Page:Bernanos - Sous le soleil de Satan, tome 1, 1926.djvu/215

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
LA TENTATION DU DÉSESPOIR

qu’une épée du fourreau, il tâchait d’épuiser son angoisse.

Toutefois, lorsque, par une dérision sacrilège, la bouche immonde pressa la sienne et lui vola son souffle, la perfection de sa terreur fut telle que le mouvement même de la vie s’en trouva suspendu, et il crut sentir son cœur se vider dans ses entrailles.

— Tu as reçu le baiser d’un ami, dit tranquillement le maquignon, en appuyant ses lèvres au revers de la main. Je t’ai rempli de moi, à mon tour, tabernacle de Jésus-Christ, cher nigaud ! Ne t’effraye pas pour si peu ; j’en ai baisé d’autres que toi, beaucoup d’autres. Veux-tu que je te dise ? Je vous baise tous, veillants ou endormis, morts ou vivants. Voilà la vérité. Mes délices sont d’être avec vous, petits hommes-dieux, singulières, singulières, si singulières créatures ! À parler franc, je vous quitte peu. Vous me portez dans votre chair obscure, moi dont la lumière fut l’essence — dans le triple recès de vos tripes — moi, Lucifer… Je vous dénombre. Aucun de vous ne m’échappe. Je reconnaîtrais à l’odeur chaque bête de mon petit troupeau.

Il écarta le bras dont il étreignait encore les reins de l’abbé Donissan, et s’écarta légèrement, comme pour lui laisser la place où tomber. Le