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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

camarade. Repose-toi. Je t’ai bien cherché, bien chassé. Te voilà. Comme tu m’aimes ! Mais comme tu m’aimeras mieux encore, car je ne suis pas près de t’abandonner, mon chérubin, gueux tonsuré, vieux compagnon pour toujours !

C’était la première fois que le saint de Lumbres entendait, voyait, touchait celui-là qui fut le très ignominieux associé de sa vie douloureuse, et, si nous en croyons quelques-uns qui furent les confidents ou les témoins d’une certaine épreuve secrète, que de fois devra-t-il l’entendre encore, jusqu’au définitif élargissement ! C’était la première fois, et pourtant il le reconnut sans peine. Il lui fut même refusé de douter à cette minute de ses sens ou de sa raison. Car il n’était pas de ceux qui prêtent naïvement au bourreau familier, présent à chacune de nos pensées, nous couvant de sa haine, bien qu’avec patience et sagacité, le port et le style épiques… Tout autre que le vicaire de Campagne, même avec une égale lucidité, n’eût pu réprimer, dans une telle conjoncture, le premier mouvement de la peur, ou du moins la convulsion du dégoût. Mais lui, contracté d’horreur, les yeux clos, comme pour recueillir au dedans l’essentiel de sa force, attentif à s’épargner une agitation vaine, toute sa volonté tirée hors de lui ainsi